La plupart d’entre nous connaissent le service des urgences de l’hôpital, soit pour y avoir été conduit soit pour y avoir accompagné un proche. On se rappelle des longues heures d’attente, de l’agitation environnante, du stress généré par notre état de santé mais aussi par la peur de l’inconnu…car bien évidement, ce ne sera pas notre médecin habituel qui nous prendra en charge mais le médecin urgentiste. Qui est-il ? Va-t-il me soulager ? Me comprendre ? etc… Ce sont également toutes ces questions que nous nous posons avant de passer en consultation. Généralement nos inquiétudes disparaissent dès l’intervention du « Taote » de garde.
Pour mieux comprendre le métier d’urgentiste, Actu Santé Fenua est allé à la rencontre de « Taote » Tony TEKUATAOA, médecin polynésien. Il nous raconte sa vocation médicale et sa passion pour son activité trépidante d’urgentiste.
Pouvez-vous, en quelques mots, nous parler de votre parcours ?
J’ai grandi en Polynésie et fait tout mon parcours scolaire à Tahiti au collège Lamennais.
Puis je suis parti en France, plus précisément à Toulouse, pour faire mes études de médecine. J’ai été un petit peu orienté car j’ai une maman qui est pharmacienne, j’ai un frère aîné qui est médecin chirurgien, j’ai donc baigné dans ce monde depuis tout petit. Il y avait aussi une forme de simplicité à passer un concours même s’ il est difficile et finalement aboutir à avoir un métier. Au début je ne pensais pas que j’allais faire de l’urgence et ça s’est précisé au cours de mes études.
Qu’est-ce qui vous a attiré vers cette spécialité ?
C’était à la fin de l’externat ou j’ai fait un premier stage au SAMU de Toulouse. Celui-ci m’ayant beaucoup plu, j’ai signé pour un second stage. C’est une spécialité qui m’a beaucoup plu car très vivante et exécutive. Ce n’est pas une médecine de suivi, ni de pathologie chronique, il y a une forme de service rendu rapide …même si on ne suit pas les patients tout au long de leur problème de santé.
On doit cadrer le malade, rendre un diagnostic rapide et ensuite délivrer le patient à un spécialiste quand il s’agit d’une hospitalisation ou de pouvoir le traiter si le cas n’est pas trop grave.
Comment définiriez-vous votre travail d’urgentiste ?
Le métier d’urgentiste est un métier passionnant, on voit énormément de monde, le service d’urgence est relativement plein et en Polynésie. On a la chance d’avoir une patientèle assez exceptionnel, gentille, respectueuse, patiente. C’est très agréable de travailler ici…c’est une façon de faire une médecine dans l’instant présent, ponctuelle.
Après, on est soumis aussi à des situations critiques voire dramatiques. C’est un métier qui ne peut pas s’éteindre car il y aura toujours des cas d’urgence dans la vie. Malheureusement à Tahiti on a beaucoup de maladies insidieuses, dues à des modes de vies qui sont explosives et qui vont nous amener de plus en plus de patients. Je parle des cas critiques comme les maladies cardiovasculaires, métaboliques et respiratoires. C’est un peu à cause de tout ça qu’il ne peut pas y avoir de chômage en médecine d’urgence.
C’est un métier qui est intéressant parce qu’on est amené à beaucoup bouger. Aujourd’hui, on a aussi le travail extra hospitalier ou on va chercher les malades dans les îles ou dans les différentes communes.
Tout cela est rationalisé par le SAMU qui est une activité également intéressante puisque le SAMU doit réguler et répondre à l’urgence sur tout le territoire avec les moyens adaptés. Il y a, sur ce versant là, un côté organisationnel et pas uniquement médical.
Vous faites un travail d’équipe, avec quels professionnels de la santé travaillez-vous au quotidien ?
Ce qui est bien avec la médecine d’urgence c’est qu’on travaille avec tous les spécialistes. Je ne connais pas un spécialiste avec qui nous ne travaillons pas …on est en relation avec les biologistes pour les analyses du sang, les cardiologues, les pneumologues, les neurologues, les chirurgiens…..on a le sentiment de travailler avec tout le monde…on est pas spécialiste mais on a besoin d’avoir un éventail de connaissance …il y a un dicton qui dit :
« Les urgentistes ne savent rien sur tout et les spécialistes savent tout sur rien »
On a une médecine allopathique occidentale qui est focalisée sur chacun des organes du corps, on a donc sectorisé le malade et nous on s’occupe un peu de toutes les pathologies. Tous les cas de figure arrivent aux urgences que ce soit : neurologique, psychologique, obstétrique, la chirurgie etc…
Parfois on a des urgences sociales, des personnes qui ont des problèmes psychologiques ou qui traversent une phase difficile.
Comment gérez-vous le stress et la tension générés par votre métier ? Ceux du patient, de sa famille mais aussi le vôtre…
Pour le praticien et en ce qui me concerne, devant une situation critique, le stress vient avant mais dès qu’on prend le malade en main on est un petit peu formaté …on réfléchit et on est dans une action presque automatique. On ne peut pas laisser la place au stress car cela nous empêcherait d’agir de façon efficace. La gestion du stress se fait avant et après mais jamais pendant l’urgence.
On doit faire face au stress du patient et de sa famille donc on doit gérer ces mécanismes en amont et en aval notamment pour les familles.
Lorsque la situation est grave on a l’impression qu’il y a un choc émotionnel qui s’effectue chez le patient qui fait qu’il occulte un peu ce qui se passe. D’ailleurs les urgentistes ont très peu de remerciements car en fait les patients ne se souviennent pas toujours de nous. Sur des situations graves, les patients ont souvent une espèce de « Black Out » émotionnel. Ils vont se rappeler du médecin spécialiste mais pas particulièrement du médecin urgentiste qui aura prodigué les premiers soins.
Un médecin urgentiste doit être mentalement solide, familialement aussi et personnellement j’ai retrouvé dans les activités nautiques un exutoire qui me permet d’évacuer le stress emmagasiné. On est obligé d’avoir une sous pape de décompression car on est souvent soumis au stress.
Ensuite on est aguerri aux situations de stress et l’expérience nous aide à bien travailler.
C’est aussi un métier de communication …avec la famille, les médecins, votre équipe, les pompiers etc…pouvez-vous nous parler de cet aspect de votre métier ?
C’est effectivement un métier de communication, avec l’équipe, les différents intervenants et le patient. Les personnes qui sont dans une situation de stress ont besoin d’être rassurées. Après il ne faut pas faussement rassurer les gens. Moi j’ai tendance à ne jamais mentir et je préfère même avoir parfois un discours pessimiste, plutôt dur mais réaliste pour qu’il n’y ai pas de surprise.
Quand il y a un problème de communication ou l’on minimise les choses, si ça se passe mal c’est tout de suite plus compliqué. Donc j’ai tendance à être, avec les patients ou la famille, plutôt pessimiste et dès que les choses vont réellement mieux, tout le monde est rassuré.
Dans certain cas, il ne faut pas avoir peur de dire les choses de façon réaliste. On préférerait dire aux gens que tout va bien se passer mais malheureusement ce n’est pas toujours le cas. Il y a une réalité, on n’est pas des dieux, on est là pour essayer de rectifier des situations critiques mais on n’a pas « les clés » de la vie ou de la mort. On tente tout pour les sauver ou les ressusciter parfois et dans certaine situation, malgré toutes nos actions, les patients ne survivent pas.
La communication est donc une partie importante du métier et ce n’est pas un aspect de la médecine qu’on nous enseigne. Cela se fait avec l’expérience et la nature personnelle.
D’après vous, quelles sont les qualités essentielles d’un bon médecin urgentiste ?
Il faut d’abord avoir de l’empathie pour les gens, être là pour les aider. Une autre qualité qu’on doit avoir aussi, notamment dans la gestion du stress, c’est la capacité de pouvoir maîtriser les choses.
Il faut savoir réagir très vite et bien … mettre à profit ses compétences de façon correcte : donner le bon diagnostic et prodiguer les soins adaptés à la situation d’urgence.
Les qualités humaines sont primordiales car nous sommes constamment en contact avec des malades.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaitent exercer votre métier ?
Je participe aux carrefours des métiers dans plusieurs collèges et lycées et je rencontre des jeunes Polynésiens pour effectivement les motiver à s’engager dans cette voie-là. Ce que je leur dis à chaque fois c’est que c’est un métier très gratifiant ….les élèves me posent souvent des questions au sujet de mon salaire, je leur dis que ce métier nous permet de vivre très confortablement. C’est également un métier qui s’exercera tout le temps et partout. On a la capacité d’intervenir dans n’importe quelle situation …ce qui n’est peut-être pas le cas d’un spécialiste.
Il faut bien entendu être très motivé, ce sont des études qui sont longues, mais qui débouchent sur un métier passionnant et noble.
Je suis très content de revenir travailler sur le Fenua et de pouvoir soigner les gens de mon pays.
Ils me le rendent bien et me disent très souvent : « Taote on est fier de toi… » Cette forme de fierté et de reconnaissance me motive dans les moments un peu rudes. Avec la population locale, il y a aussi une forme de compréhension mutuelle.
Parallèlement à cette relation un peu privilégiée avec les patients, certains jeunes n’hésitent pas à me dire qu’ils aimeraient eux aussi suivre mon chemin et peut être un jour, à leur tour, soigner les Polynésiens.
Il y a eu des médecins avant moi et il y en aura d’autres après et c’est une excellente chose car la Polynésie a besoin de soignant et d’avancer en termes de santé en particulier dans le domaine de la prévention.
On a un territoire qui souffre, on a des indicateurs de santé qui ne sont pas bons du tout et en ce sens-là je pense qu’il faudrait avoir une politique de santé agressive. Je ne parle pas d’une politique de soin mais d’une politique de santé préventive.
On est dans une situation ou la Polynésie s’est lourdement transformée ces dernières décennies. Faisons vite pour repartir dans l’autre sens et corriger le cap.
Quels sont vos projets pour aider justement la population locale à retrouver une meilleure santé ?
A la fin de mes études, en 2004, je suis rentré en Polynésie, pays que j’avais quitté avec des yeux d’enfants et que je retrouvais avec des yeux de médecin. Je me suis rapidement aperçu que la prévention est très certainement la médecine qu’il faut appliquer en Polynésie, de façon plus « féroce ». A ce titre là j’ai eu l’occasion de travailler avec « Taote » Parrain pendant un an….malheureusement la mission s’est arrêté ….sur un programme de prévention des maladies respiratoires chez l’enfant. J’ai voulu m’orienter vers cette action malheureusement les choses se sont compliquées et ce programme a été stoppé …ce qui est dommage. J’ai donc rebasculé vers la médecine d’urgence mais aujourd’hui il me semble que la prévention est primordiale. On fait beaucoup de prévention primaire en Polynésie mais très peu de prévention secondaire et tertiaire.
La prévention primaire c’est par exemple l’affichage ou la communication via les médias.
La prévention secondaire est beaucoup plus dans des actions de dépistage en allant à la rencontre des gens. Le Polynésien ne viendra pas de lui-même se faire dépister ou faire ce qu’on appelle un « check up », il faut aller vers lui….si on attend qu’il vienne, ce sera trop tard.
Je pense qu’il faut aller sur le terrain, dans les quartiers, les communes, les écoles etc ….
C’était l’idée d’un projet de bus que j’ai tenté de mettre en place. Cela aurait permis de se déplacer, d’aller au contact des gens pour faire du dépistage et ensuite d’éduquer les personnes malades, les familles à risques, en prodiguant des conseils et en leur faisant prendre conscience de l’état de leur santé.
Malheureusement ce projet n’a pas été retenu, le service de l’EPAP a été fermé ainsi que la Maison du Diabète.